vendredi 26 avril 2013

Changer de paradigme (1): rémunération des médecins



  Notre première défaite, c'est d'accepter de penser selon les critères d'une instance que nous n'approuvons pas. Telle fut ma réaction spontanée à ce billet d'une consoeur, qui blogue sous le pseudonyme d'Armance, et dont j'apprécie beaucoup les écrits. Car je ne crois pas déformer la vérité en disant que la majorité des médecins considèrent l'Assurance-Maladie comme un carcan administratif qui entrave non seulement la qualité de leurs conditions d'exercice, mais pis encore également la qualité de la prise en charge qu'ils proposent à leurs patients. C'est pourquoi j'ai souhaité réagir à la manière dont nous avons encore tendance à réfléchir pour évaluer la valeur de notre travail dans nos négociations salariales.
  Tout d'abord, sans préjuger du caractère approprié ou non du montant final de la base salariale horaire retenu, je dirais que nous ne sommes en rien obligés de nous référer ni à la durée standard de quinze minutes pour une consultation, ni a fortiori à la "valeur" que la CPAM attribue à une de nos consultations: 23 €. Cela dit, je dois reconnaître que moi-même je m'y suis laissé prendre: sollicité pour faire une présentation didactique sur ce qu'est l'épilepsie à un public composé de salariés d'un établissement d'accueil pour jeunes autistes, je n'ai pas cherché plus loin pour la facturation de la prestation que la formule H = (durée totale dépensée pour la prestation) x 4C /h.
  Concernant la durée moyenne de la consultation, je ne pense pas me tromper beaucoup en disant qu'elle est sujette à des variations notables, en fonction du type de territoire où exerce le médecin, du type de patientèle dont il s'occupe, et de la façon dont il conduit ses consultations. S'il est vrai que la moyenne des durées moyennes de consultation en France est de quatorze minutes selon une étude que j'ai lue, j'ai également pu lire qu'elle est de onze minutes en Angleterre, et de sept minutes aux Etats-Unis. Il y a de toute façon quelque chose qui me turlupine dans le raisonnement qui consiste à demander un montant d'honoraires par heure égal au montant d'honoraires reçus si le médecin avait donné des consultations à son cabinet pendant cette heure: cela voudrait-il dire qu'un médecin qui enchaîne des consultations toutes les dix minutes est fondé à demander deux fois plus que celui qui consacre en moyenne vingt minutes à chacune de ses consultations ? J'ai du mal à répondre par l'affirmative à cette question.
  Par ailleurs, je pense que nous devrions prendre l'habitude de considérer que l'acte que nous effectuons, s'il est digne de s'appeler "consultation médicale", vaut davantage que les 23 € que la CPAM nous impose de coter. A titre d'exemple, je peux citer une des recommandations du Rapport rendu par Elisabeth Hubert sur le sujet de "La Médecine de Proximité", qui évalue le montant à percevoir entre 12 et 70 euros en fonction de la complexité de l'acte accompli. Je pourrais citer également les montants d'honoraires de consultation de nos confrères dans les pays au niveau de vie comparable au nôtre, qui vont du double au triple des 23 € en France, voire davantage. Mon propos n'est pas d'appeler à doubler ou tripler le C=CS sans rien changer aux pratiques actuelles, il est plutôt de pointer de l'absurdité d'une cotation fixe qui aboutit au fait qu'un médecin qui consacre deux fois moins de temps à chaque patient sera deux fois mieux rémunéré que son confrère, alors qu'il ne me semble pas qu'on puisse juger de la qualité d'un médecin en se basant sur la brièveté de sa consultation.
  On peut arguer que 23 € est un montant qui représente la moyenne pondérée des différentes valeurs des actes que réalise un médecin dans sa semaine de consultations: encore faudrait-il justifier du calcul qui a permis d'aboutir à ce résultat. Par ailleurs, rester dans cette logique tend à favoriser la préférence pour les actes simples, ce qui entraîne plusieurs inconvénients.
  Le premier, c'est que certains médecins ne pourront résister à la tentation (le diplôme de médecin n'ayant pas pour propriété de conférer automatiquement à son détenteur une intégrité irréprochable en toutes circonstances) d'imposer aux patients quelques consultations simples supplémentaires, histoire de "soutenir" le montant de leurs recettes. Je pense pour ma part que ce n'est pas une simple vue de l'esprit, et pourrait expliquer en partie l'estimation à 28% la proportion de consultation considérées "inutiles" par les patients interrogés. C'est une dérive pernicieuse à plusieurs égards. D'abord, même rapide, une consultation simple occupe un volume de temps du médecin, qui aurait gagné à être employé plus utilement. Ensuite, c'est une perte de temps supplémentaire infligée au patient qui voit sa productivité amputée sans réel bénéfice, ni pour lui, ni pour la collectivité. Pis encore, on risque de voir émerger une certaine suspicion de la part du patient envers son médecin, altérant significativement et durablement la relation médecin-patient. Cela induit un vrai coût pour la collectivité, parce qu'un patient peu confiant sera plus enclin à demander plusieurs avis médicaux pour un même motif, voire à céder au nomadisme médical, ou au contraire s'abstiendra de consulter à un stade où sa maladie peut être soignée à moindres coûts jusqu'au moment où la prise en charge deviendra très lourde car sa maladie en sera à un stade avancé. Plus subtilement encore, un patient méfiant réclamera davantage d'examens complémentaires, sera plus long a convaincre donc génère davantage de perte de temps médical, sera plus difficile à convaincre donc le médecin risque de préférer la simple prescription rapide aux explications chronophages: tout ça finit aussi par augmenter la facture pour l'Assurance-Maladie sans aucune valeur ajoutée médicale.
  Le deuxième inconvénient, c'est qu'un médecin moyen, qui veut bien faire son travail, a besoin d'une certaines proportion d'actes simples cotés 23 €, pour compenser les actes complexes qu'il effectue à côté et qui restent cotés 23 € aussi: c'est le principe du calcul d'un montant moyen forfaitaire. Or, si les autorités de tutelle commencent à vouloir étendre à ces actes simples le champ de compétence des paramédicaux (ce qui à mes yeux est une bonne chose en soi dans l'absolu), comme c'est le cas actuellement, sans rien changer au montant forfaitaire, cela revient à fausser le calcul puisque la proportion d'actes complexes dans une semaine d'un médecin va augmenter, rendant son travail plus éprouvant sans aucune revalorisation parallèle de ses honoraires. Au-delà d'une certaine proportion d'actes complexes, ou en-dessous d'un certain nombre d'actes simples, le médecin -qui n'est pas systématiquement un sacerdote vouant sa vie au sacrifice de soi pour le bien d'autrui- risque de faire l'arbitrage et préférer un poste salarié bien plus confortable sur la durée. A ce rythme, on n'est pas près de voir diminuer la pénurie de médecins installés en libéral.
  Le troisième inconvénient, c'est l'apparition de comportements opportunistes, de médecins cherchant à se concentrer surtout sur les actes simples rapides à enchaîner, ce qui augmente mécaniquement le total des recettes horaires, au détriment des prises en charge complexes et lourdes -pour le même montant d'honoraires de 23 €- qui vont aller peser encore plus sur les médecins consciencieux et les pousser un peu plus vers le burn-out, ou pire encore échouer aux urgences hospitalières faute d'avoir eu accès à des soins de ville adéquats.
  Pour toutes ces raisons, je considère comme franchement inapproprié ce mode de rémunération actuellement imposé aux médecins conventionnés, et j'encourage tous mes confrères à réfléchir à une nouvelle conception de notre rémunération, laquelle pourrait par exemple être expérimentée au sein de Maisons de Santé Pluridisciplinaire dont je suis un des partisans, sous réserve que sa création se déroule dans un processus de concertation et de coopération étroite entre usagers, soignants, et éventuellement les instances publiques. J'ai bien ma petite idée de ce que pourrait être un nouveau modèle de rémunération, que vous exposerai dans un billet ultérieur.

2 commentaires:

  1. Parfaitement d'accord. J'avais dans l'idée (vague) de faire des maisons de santé, où une grande part de la rémunération du praticien serait la mairie, et une part proportionnelle à son activité. Les patients donneraient une contribution forfaitaire à leur inscription à la maison de santé, et pourraient venir sans payer une fois par mois. Au delà, ils payent le tarif conventionnel... Possible?

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  2. Bonjour Amandine,
    Merci de votre intérêt :-)
    La question de la juste rémunération des professionnels de santé est à mon avis une question très complexe. Les deux premiers écueils les plus évidents à éviter sont la tentation de l'abattage avec une rémunération à l'acte et son exact contraire qui est la tentation de la nonchalance avec une rémunération fixe forfaitaire. Je suis d'accord que la solution devrait se situer quelque part entre les deux avec un mix dont le proportions restent à déterminer.
    En l'état actuel des choses en revanche, j'imagine assez mal une instance publique quelle qu'elle soit accepter de rémunérer de façon récurrente et durable les professionnels de santé qui travailleraient dans une MSP. Tout au plus aurions-nous droit à une aide ponctuelle ou transitoire en attendant d'atteindre le rythme de croisière et le seuil d'auto-financement.
    Il ne serait pas inimaginable d'un autre côté que les patients qui souhaitent s'inscrire dans un processus de suivi de la santé global puissent accepter de venir une fois par mois pour un check-up avec à la clef la cotation d'une consultation qui irait abonder la trésorerie commune de fonctionnement de la MSP. Nous serions dans la logique de Préservation de la Santé plutôt que celle de la Restauration de la Santé qui prévaut actuellement: je prépare un billet sur ce sujet pour bientôt.

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